Depuis toujours, les êtres humains ont utilisé des produits divers pour se faire plaisir ou pour soulager leur souffrance. L’usage de la drogue est un continuum qui va de la recherche de plaisir (ce qui est légitime), à la dépendance (ce qui est un problème aussi bien sanitaire, social, que légal). Les problèmes commencent avec l’abus de substance, puis l’installation d’une dépendance, le consommateur perdant sa capacité à se contrôler ou à contrôler sa consommation.
Le stade de dépendance à une drogue est précédé chez chaque utilisateur, par deux autres niveaux d’utilisation pendant lesquels, le sujet ne perçoit aucun risque, ou du moins le minimise.
L’addiction aux drogues est une maladie chronique complexe et non une forme de délinquance. Elle est d’autant complexe, qu’elle touche trois dimensions liées de la vie celui qui en souffre consciemment ou inconsciemment: le système nerveux, le psychisme et le social.
Pour répondre à la question de la guérison du sujet dépendant, il importe de comprendre pourquoi certains consommateurs de drogues deviennent dépendants et d’autres pas.
PEUT-ON GUÉRIR DE L’ADDICTION AUX DROGUES ?: COMMENT DEVIENT-ON DÉPENDANT ?
Les humains ne naissent pas égaux, du moins devant la drogue. Certaines personnes ont un risque d’installation d’une dépendance plus important que d’autres, en raison des facteurs génétiques, éducatifs et sociaux. Cela constitue les facteurs de vulnérabilité.
Par ailleurs, certains produits sont plus addictogènes que d’autres, en fonction de leurs effets sur le cerveau et le psychisme. C’est le cas par exemple de la nicotine, la cocaïne, l’héroïne qui entraînent rapidement une forte dépendance. D’autres produits sont moins addictogènes, comme l’alcool ou le cannabis. La fréquence et le mode de consommation influencent le pouvoir addictogène du produit consommé.
L’environnement dans lequel vit le sujet est une variable déterminant dans la survenue d’une dépendance aux drogues.
Ainsi, l’addiction aux drogues résulte de la rencontre entre un SUJET VULNÉRABLE et un PRODUIT ayant un certain potentiel addictogène, dans un ENVIRONNEMENT favorable.
La dépendance ou addiction, est caractérisée par l’impossibilité d’arrêter de consommer, sans l’apparition d’un état de manque important (physique et psychologique) et par la nécessité d’augmenter les doses pour obtenir le même effet recherché. Cet état s’accompagne de modifications biologiques, neurologiques et psychologiques durables, qui peuvent perdurer plusieurs années après l’arrêt de la consommation de la drogue.
PEUT-ON GUÉRIR DE L’ADDICTION AUX DROGUES ?
Cette question est assez fréquente en consultation d’addictologie, et revient couramment pendant la prise en charge de sevrage, au regard de la récurrence des rechutes chez les consommateurs de drogues.
Quel que soit l’approche de soins proposé (médicaments, psychothérapie individuelle, thérapie de groupe…), l’addiction aux drogues reste une maladie complexe dont la «guérison» est possible, mais particulièrement exigeante chez une majorité de consommateurs.
Aucun médicament ne peut guérir à lui seul, un sujet dépendant. C’est dire qu’aucun médicament ne peut corriger définitivement le désordre biologique, les conséquences psychologiques et sociales, ni blinder le patient contre toutes consommations ultérieures de drogues.
Contrairement aux maladies organiques ou infectieuses, l’addiction est une maladie dont la prise en charge ne vise pas en première intention, la « guérison » du patient. Guérir d’une addiction est un objectif mineur dans le projet thérapeutique, qui, de façon optimale, devrait être centré sur le changement de comportement du sujet.
Certains programmes de prise en charge dans le monde ont pour objectifs, non pas l’arrêt de la consommation et l’abstinence totale, mais la réduction des risques chez le consommateur. Ils visent par exemple à protéger les consommateurs :
- – De l’overdose qui est souvent mortelle
- – Des conséquences médicales (VIH, Hépatites virales, cirrhose de foie…)
- – Des conséquences psychologiques et psychiatriques (dépressions, psychoses…)
- – Des conséquences sociales (problèmes avec la loi, problèmes familiaux et de couples…).
L’arrêt ou le projet d’arrêter la drogue, confronte le sujet à un processus psychique complexe qui rend la guérison particulièrement incertaine. Proschaska et Di Clemente ont décrit plusieurs stades d’oscillation qui expliquent l’évolution en dent de scie, de nombreux patients dépendants.
Au STADE CONTEMPLATIF, les patients prennent davantage conscience de leur dépendance et des conséquences sur leur santé et leur vie sociale. La prise de conscience de l’importance de l’addiction se fait dans deux directions : les conséquences et le lien avec la dépendance d’une part, et la difficulté d’arrêter la consommation d’autre part.
Au STADE DE LA DÉTERMINATION, les patients envisagent alors de plus en plus
sérieusement de stopper leur consommation et la motivation pour mettre en œuvre un sevrage augmente.
Après LE STADE DE L’ACTION durant laquelle le sevrage s’installe, suit LA PÉRIODE DE MAINTENANCE, correspondant à la vie (généralement difficile) sans produit. La consolidation d’une vie sans conduites addictives, nécessite de nombreux changements aussi bien au niveau des pensées, des émotions, des activités, de l’entourage familial, que du réseau relationnel.
Dans le parcours addictif, la dernière étape est LE STADE DE LA RECHUTE. « La rechute est fréquente et pourrait être considérée, si elle survenait, comme une étape du processus de guérison.
Cette rechute peut survenir brutalement, de manière imprévisible, mais le plus souvent, il existe des facteurs déclencheurs.
La rechute addictive n’est généralement pas liée au syndrome de manque, mais plutôt à la dépendance psychologique (nostalgie, régression dans des pensées morbides ou automatiques). Elle est un moment de déception pour l’entourage surtout familial, et parfois pour le patient lui-même, mais ne signifie pas un échec du projet de sevrage.
Deux formes de pensées morbides favorisent ou exposent à la rechute : la minimisation et la maximalisation du risque:
- Durant la minimisation, les sujets relativisent la reconsommation et peuvent même penser qu’ils « sont guéris » et qu’ils pourraient désormais consommer la drogue de manière contrôlée.
- Durant la maximalisation, les sujets, au contraire, dramatisent considérablement la reconsommation, se culpabilisent souvent et pensent que ce n’est plus la peine de lutter, dès qu’ils ont une fois de plus cédé à la tentation.
COMMENT PENSER LA GUÉRISON DE L’ADDICTION AUX DROGUES ?
L’addiction aux drogues est une maladie chronique dont le traitement est long et complexe, puisqu’il implique non seulement le sujet, mais également son entourage familial et social. De nombreux outils et méthodes aux résultats éprouvés à travers le monde, peuvent être mobilisés pour sortir le sujet dépendant de l’emprise des drogues et de ses conséquences.
Le traitement des addictions repose à la fois sur les médicaments, les psychothérapies et le soutien social.
À la Fondation kamsiham (centre se sevrage et de désintoxication des toxicomanes de Douala) nous proposons une prise en charge sur le modèle Bio-Psycho-Social.
Les médicaments sont utilisés ici, pour traiter les symptômes de manque ou pour remplacer l’effet des drogues (traitement de substitution pour la cigarette et les opiacés par exemple), alors que la prise en charge psychothérapeutique et le soutien social restent des outils de choix, pour aider le patient à se réconcilier avec soi-même et avec son entourage, à mener une vie normale ou acceptable, à réduire les risques liées à la consommation de la drogue, ou à tourner définitivement le dos aux conduites addictives.
Trois (03) erreurs fondamentales doivent être évitées lorsqu’on pense à guérir de l’addiction aux drogues :
- Confondre la disparition des symptômes de manque (qui survient généralement une semaine en moyenne après l’arrêt de la consommation) avec la guérison.
- Penser que la rechute est synonyme d’échec dans le processus de sevrage.
- Penser qu’un ancien fumeur (toxicomane) est un non-fumeur : la mémoire de la dépendance perdure plusieurs mois ou années après l’arrêt de la drogue, ce qui fait d’un ancien fumeur, un sujet à haut risque de rechute.
- Penser qu’il existe un médicament miracle qui blinde le patient ou arrête son désir de fumer.